Quand est-ce que tu viens nous voir ?

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Dans leur maison, le temps s’est arrêté avant Internet, avant les cellulaires, avant le 4G, avant Facebook. Ils n’ont pas suivi.  Même pas à petits pas. Ils sont restés là où tout était connu et facile à comprendre.

Je suis native de La Malbaie, dans Charlevoix. Dernière d’une belle famille de cinq enfants ayant eu la chance d’avoir une maman à la maison, des étés au chalet au bord du lac et en ski l’hiver au Mont Grand-Fonds. Dernière d’une famille de cinq, mais élevée comme une enfant unique puisque mes frère et sœurs étaient tous très rapprochés en âge et sont partis étudier « à l’extérieur » comme on disait, ce qui fait qu’en fin de primaire, j’étais seule encore à la maison à temps plein avec papa et maman.

C’est sûr que j’ai eu une relation différente avec eux, plus gâtée, plus fusionnelle. Jeune adulte, j’ai voyagé avec eux un peu partout au Québec, et une fois mariée, on a continué de les amener avec nous dans nos petits voyages. Depuis la fin des années 80 que mon père ou ma mère m’appelle chaque jour, à la maison ou au bureau, pour savoir comment je vais, ce que je fais, et, depuis une quinzaine d’années, pour savoir comment vont les enfants. Et presque chaque appel se termine par la sempiternelle question : « quand est-ce que tu viens (ou que vous venez) nous voir ? ». Chaque fois, je me sens comme mal en répondant que je vais y aller très bientôt. Et on y est allés, souvent.  Et on y va encore, régulièrement.  Mais ce n’est jamais assez.  Ni assez vite, ni assez souvent, ni assez longtemps.

Depuis trois ans, leur mémoire commence à avoir de sérieuses ratées. L’Alzheimer s’installe avec eux, dans la maison qu’ils occupent depuis 1957, là où rien n’a bougé, là ou les lacets de rechange sont toujours, allez savoir pourquoi, dans le tiroir de la pharmacie dans la salle de lavage. À eux deux, ils totalisent tout près de 168 ans et leur vitesse leur convient parfaitement. En fait, même si on sait qu’ils devraient être déplacés dans un endroit plus approprié à leur condition, on sait aussi que changer leur environnement les tuerait à petit feu.

On en parle entre frère et sœurs, on constate leur état, on admet le problème, mais on ne veut comme pas trop les brusquer, leur enlever leur petit univers où ils cocoonent si bien ensemble.  Et ils peuvent toujours appeler. Et ils le font. Ils m’appellent maintenant chaque jour chacun et plus d’une fois. Me posent en général toujours les mêmes questions. Oublient mes réponses. Reposent. Oublient la date, les événements récents, les noms et l’âge des enfants, mais disent « je t’aime » et posent toujours et encore la même question en fin de conversation : « quand est-ce que vous venez nous voir ?» et on y va, même si le lendemain ou le jour daprès, ils auront oublié notre visite. J’y vais parce que je regrette de ne pas y être allée plus souvent, avant que le monde s’arrête pour eux, là-bas; pendant que j’étais occupée à vivre ma vie ici.

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À propos de l’auteur

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Mi-quarantaine, diplômée de l'Université Laval en communications et relations publiques il y a un ou deux siècles (on utilisait des dactylos pour taper nos travaux!), mariée et en amour depuis 20 ans, mère de deux ados capables d'être aussi adorables que désagréables (c'est dire à quel point ils peuvent être adorables), j'ai toujours été une passionnée des mots et, depuis un an, vole de mes propres ailes avec ma petite entreprise de communications, rédaction et traduction. J'ai le privilège de pouvoir partager avec les lecteurs et lectrices de l'Écho du Lac, chaque mois, une tranche de ma vie ou une de mes montées d'humeur...ou d'hormones. N'hésitez pas à entrer en contact avec moi si mes billets vous interpellent.

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